Cet ouvrage édité par les Presses polytechniques et universitaires romandes est intitulé « L’énergie en Suisse, de 1800 à nos jours ». Il fait partie de la collection SAVOIR SUISSE dans laquelle est paru l’ouvrage de Martine Rebetez, « La Suisse se réchauffe » que j’ai commenté fin 2022.
Les auteurs en sont deux historiens universitaires, Cédric Humair et Nicolas Chachereau, le premier ayant déjà beaucoup publié sur ce thème. Ce livre au format réduit de 168 pages paru fin 2024 fournit un condensé de notre histoire énergétique et compile de très nombreuses sources. Je vais essayer d’en faire ressortir les éléments saillants.
Un des problèmes qui se posent est que la consommation d’énergie primaire n’est connue précisément qu’à partir du début du 20ème siècle et que l’analyse des périodes précédentes repose sur des estimations. Les auteurs cherchent en permanence à comparer cette évolution à la consommation mondiale, ce qui permet de fournir la « Big Picture ». On peut identifier quelques particularités de la Suisse :
- La croissance de la consommation d’énergie (x47) depuis 1850 à nos jours a été plus de deux fois supérieure à celle enregistrée au niveau mondial ;
- Pendant cette période, la population suisse est passée de 1,7 à 8,7 millions d’habitants (en 2021) ;
- L’industrie suisse a massivement délocalisé sa production dès 1870;
- La Suisse a toujours importé beaucoup de produits à forte intensité énergétique (viande, acier, automobile) ;
- La consommation a diminué en Suisse dès 2010, alors qu’on enregistrait une forte progression au niveau mondial.
L’analyse du mix énergétique indique d’autres particularités helvétiques. Notamment, le charbon a quasi disparu et a été remplacé par les hydrocarbures, au contraire de l’évolution mondiale où il y a eu addition et non substitution des différentes sources énergétiques comme le montre Jean-Baptiste Fressoz (voir note de lecture). La Suisse se distingue également par une part très importante de l’énergie hydraulique et du nucléaire.
Historiquement, la force animale a été parmi les premières sources d’énergie. Le nombre de chevaux a continué de croître jusqu’au milieu du 20ème siècle, avant de diminuer rapidement. Le bois a été la principale source de chaleur jusqu’au milieu du 19ème siècle et cette matière première a été à l’origine de nombreux conflits et a amené dans certains cas à la déforestation. L’arrivée du charbon importé (la production suisse était de trop mauvaise qualité) grâce au développement du chemin de fer a permis indirectement de préserver les forêts suisses. Cette source va même jusqu’à représenter près de 80% de l’énergie primaire au début de la 1ère guerre mondiale comme le montre le diagramme suivant qui se trouve dans le livre et que j’ai copié dans une publication de l’OFEN:

C’est l’eau, la force hydraulique, qui a été à l’origine de l’industrialisation suisse. En 1825 on comptait environ 10’000 roues en Suisse. Du fait des difficultés à transporter cette force hydraulique, les industries suisses se sont développées à proximité des cours d’eau, donc dans la campagne, au contraire par exemple de l’industrie anglaise, concentrée dans les villes grâce au charbon. Le tournant le plus spectaculaire est le passage à la production d’électricité au moyen de la force hydraulique dès la fin du 19ème siècle, ce qui permet également son transport et ce qui permet l’électrification rapide du réseau de chemin de fer. Cette source d’énergie connaîtra son sommet avec la mise en service des grands barrages alpins dans les années 1960. Ce développement a aussi coïncidé avec celui d’une industrie électromécanique suisse très innovante.
On ne peut pas faire un parallèle avec l’énergie nucléaire, les auteurs parlant même de « révolution avortée ». En effet, l’accident en 1968 de la centrale atomique expérimentale de Lucens a marqué la fin des espoirs d’une filière industrielle suisse. Les principales sociétés productrices d’électricité ont d’ailleurs clairement choisi des technologies étrangères pour construire les cinq centrales situées sur sol suisse. Si l’énergie provenant de l’uranium a atteint jusqu’à 25% de l’énergie primaire consommée, les oppositions populaires ont progressivement contribué à renforcer un cadre réglementaire d’abord très libéral et les accidents de Tchernobyl puis de Fukushima ont abouti à la décision du Peuple suisse en 2017 de sortir du nucléaire.
La consommation de pétrole – principale source de CO2 pour la Suisse – a largement accompagné l’explosion du nombre de voitures automobiles. En 1970 cette source représentait jusqu’à 78% de l’énergie primaire, proportion qui est descendue à 36% en 2022, surtout suite à la diminution enregistrée dans le domaine du chauffage des bâtiments.
Pour terminer, les auteurs soulignent le rôle prépondérant des forces du marché capitaliste dans le développement du système énergétique suisse. Le rôle des autorités publiques dans le développement tardif des énergies alternatives est qualifié de « timoré ». S’il n’y a eu que très peu de moulins à vent dans le passé, les 65 éoliennes en service à fin 2022 ne font pas beaucoup mieux et ne fournissent que 0,2% de l’électricité.
Finalement, les auteurs de cet ouvrage, dont je conseille la lecture, soulignent la responsabilité de la Suisse et de sa place financière dans la problématique climatique et relèvent que la taille limitée de notre pays et de ses émissions directes ou indirectes ne permet pas de s’affranchir de nos engagements : « les pays rejetant chacun moins de 2% du total des émissions mondiales émettent, ensemble, davantage que la Chine. »