Lecture obligatoire : La Suisse se réchauffe

16.11.2022 |

Les Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR) viennent de publier dans la collection « Savoir suisse » une nouvelle édition mise à jour de l’ouvrage de Martine Rebetez intitulé « La Suisse se réchauffe. Effet de serre et changement climatique ».

J’ai véritablement dévoré ce livre de 150 pages rédigé de manière très accessible par Martine Rebetez et qui avait été déjà publié une première fois il y a 20 ans. L’autrice est une climatologue suisse qui est professeur à l’institut de géographie de l’Université de Neuchâtel.

Au moins 80% de ce livre devraient être déclarés lecture obligatoire pour nos politiciens, car ils résument de manière très claire les mécanismes et les enjeux du réchauffement climatique en illustrant ce phénomène par de nombreux exemples pour la Suisse.

L’auteur décrit les mécanismes du climat terrien depuis les âges les plus anciens avant de s’intéresser plus précisément à la Suisse en s’appuyant sur la littérature scientifique et sur les experts du GIEC. Du fait de la position continentale du pays et de la réduction de la réverbération de la lumière,  « En Suisse, l’augmentation des températures a été jusqu’ici environ deux fois supérieure à la moyenne ; les modèles prévoient que ces proportions se maintiendront à l’avenir » (p. 17). En raison du réchauffement, on s’attend à une augmentation des précipitations intenses en même temps qu’à une réduction de la durée et de la fréquence de ces précipitations, ce qui sera à l’origine d’une augmentation des sécheresses. Les précipitations neigeuses en plaine ont, elles, été réduites de près de 80% en trente ans. En montagne, comme la couche de neige se réduit également, la saison favorable au ski commence progressivement plus tard et se termine plus tôt. En fait, avec un réchauffement mesuré de plus de 2 degrés en Suisse, les conditions d’enneigement se sont décalées de plus de 300 mètres en altitude. L’ensoleillement a aussi progressé en quelques décennies, ce qu’on peut en partie attribuer au recul de la pollution atmosphérique.

À part une brève pause de 1950 à 1980, les glaciers n’ont pas cessé de diminuer depuis le milieu du 19ème siècle et il reste aujourd’hui moins du tiers de la glace présente à la fin du 19ème. La Suisse est également touchée par la fonte du pergélisol (permafrost), mais ce phénomène de réchauffement des terrains congelés en permanence ne concerne qu’environ 5% de la superficie de la Suisse. Peu d’infrastructures ont été construites sur ce pergélisol et les problèmes seront en conséquence moins importants que dans les zones arctiques. Les modifications climatiques augmentent la probabilité de catastrophes naturelles, avalanches ou crues subites. L’autrice relève que la Suisse et ses autorités ont su réagir à l’exemple de Brig : cette bourgade valaisanne avait été dévastée par des coulées de boues en 1993. Les conditions étaient encore plus extrêmes en 2000, mais les mesures mises en place ont permis d’éviter des dégâts importants.

Martine Rebetez analyse les effets du réchauffement sur l’agriculture suisse qui subit déjà les désavantages d’un climat qui voit se succéder fortes pluies et sécheresses. La sécurité alimentaire semble peu menacée, même si notre agriculture ne produit que de quoi nourrir 4 millions de personnes alors que notre population compte plus du double d’habitants. L’autrice reconnaît indirectement que nos importations de nourriture, ainsi que de fourrages et d’engrais, sont incontournables pour la Suisse. Madame Rebetez ne semble pas proposer de revenir à 4 millions d’habitants. Je n’ai en tout cas rien lu allant dans cette direction.

Dans ses conclusions, l’autrice se prononce clairement sur la stratégie internationale et nationale de réduction des émissions de gaz à effet de serre : « Force est de constater que cette stratégie a jusqu’ici échoué » (p. 127). Elle dénonce notamment l’obstruction des multinationales des énergies fossiles et des lobbys du pétrole, mais reste très générale en ce qui concerne les mesures à prendre pour corriger le tir. Pour elle, il est indispensable de réduire la production de viande, mais elle ne détaille pas vraiment comment transformer l’agriculture helvétique. Elle reprend les chiffres de l’Office de statistique pour évaluer l’empreinte carbone de nos importations (voir mon article sur ce thème) et répète l’évaluation selon laquelle les investissements des institutions financières suisses auraient une empreinte carbone 20 fois supérieure à celle de la production indigène. Encore pire : chaque Suisse assuré auprès du deuxième pilier générerait au moins autant de CO2 à l’étranger qu’en Suisse à cause des investissements de sa caisse de pension.

À mon avis, l’analyse critique de Martine Rebetez des politiques officielles et de leurs effets est éclairante. Toutefois, dans la dernière partie de l’ouvrage, elle semble s’éloigner de son approche scientifique en reprenant telles quelles en matière de mesures les propositions écologistes les plus connues, sans pouvoir vraiment les articuler avec ses descriptions du début de l’ouvrage. Malgré ce caveat, cet ouvrage reste pour moi une lecture incontournable lorsqu’on s’intéresse à la problématique du climat !

La radio suisse romande a diffusé récemment une interview de Martine Rebetez dans le cadre de l’émission « Prise de Terre ». Cela pourrait vous intéresser

https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/entretien-avec-martine-rebetez-25875060.html

Martine Rebetez, La Suisse se réchauffe
Martine Rebetez, La Suisse se réchauffe

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