L’ouvrage d’Hélène Trodjman (1953) publié une première fois par les éditions « La Découverte » en 2021 a pour but de disqualifier ce que l’autrice qualifie d’écologie marchande. Une postface écrite semble-t-il fin 2023 remet au goût du jour certains éléments sans modifier sensiblement le contenu de cet ouvrage, qui s’arrête vers 2020.
L’idée de base est que la notion de « croissance verte » popularisée par l’OCDE et reprise sous l’étiquette « Green New Deal » par la Commission européenne n’est en fait qu’une « fuite en avant ». Selon l’autrice, les idées développées dans ce contexte sont issues d’un projet scientifique né aux USA au début des années 2000, sous le nom de « convergence NBIC » pour ‘nanotechnologies, biotechnologies, sciences de l’information et sciences de la cognition’ avec l’idée que la science et la technologie permettront de résoudre tous les problèmes de l’humanité. Pour l’autrice, cette approche envisage la nature comme un capital produisant des revenus sous la forme de services écosystémiques en étendant la perspective financière à la protection des milieux naturels. En fait, la ‘finance verte’, qui devrait permettre aux investissements respectueux de l’environnement d’atteindre des taux de rendement privilégiés, échoue complètement et participe plutôt au « greenwashing ». Le seul espoir de l’autrice repose sur le développement de systèmes agraires alternatifs qui s’opposent à l’agriculture industrielle et à la quatrième révolution industrielle qui devrait permettre de sauver la planère grâce au progrès technologique si l’on en croit le World Economic Forum de Davos.
Pour étayer sa critique, l’autrice prend l’exemple des biocarburants qui ne fournissent qu’une part négligeable de l’offre énergétique, ne représentant « qu’une goutte d’huile ou d’alcool dans un océan de pétrole ». La production de ces carburants entre en concurrence avec celle des denrées alimentaires tout en émettant une quantité importante de gaz à effet de serre. L’autrice, qui se réclame de l’héritage du philosophe Ivan Illich, constate que la « Convention sur la diversité biologique signée en 1992, en promouvant le développement d’instruments de marché pour protéger la biodiversité, a entériné ce changement de paradigme des politiques de protection de la nature. »
Le « postmodernisme vert » prend la forme d’une « économie écologique ». « En termes plus techniques, on postule une parfaite substituabilité entre les facteurs de production : moins de ressources naturelles pourra être compensé par plus de capital manufacturé, comme le travail peut être remplacé par le capital, grâce à la technologie. C’est la teneur de la position dite de ‘soutenabilité faible’. La ‘soutenabilité forte’ que promeut entre autres Constanza, suppose au contraire que la soutenabilité entre facteurs de production n’existe pas, ou à peine : le ‘capital naturel’ ne peut pas être remplacé par du capital manufacturé. Il faut donc le préserver.»
Hélène Trodjman fait référence à la Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui a eu lieu en 2010 à Nagoya. Elle constate qu’aucun des nombreux objectifs définis alors à l’horizon 2020 n’a pu être atteint. Elle signale la création de l’Intergovernemental Science Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES), le GIEC de la biodiversité, mais ne commente plus les résultats de la Conférence des partie de Kunming/Montréal. Trodjman consacre une partie importante de son analyse à l’initiative TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) lancée en 2007 pour analyser les services écosystémiques et essayer de les monétiser. Cette initiative a perdu progressivement de son dynamisme et a maintenant été reprise par le programme de l’ONU pour l’environnement.
Finalement, l’autrice pourrait à mon avis partager l’approche de Donald Trump, en tout cas en ce qui concerne le libre-échange. Hélène Tordjman met en doute les préceptes de David Ricardo et constate que « la conjonction d’une agriculture industrielle subventionnée et du libre-échange est en grande partie responsable de la pauvreté et de la malnutrition dans les pays du Sud. (p. 376). » La conclusion qui lui semble s’imposer est que la seule voie possible est la décroissance, comme elle le souligne dans sa postface.