Le Conseil fédéral a publié le 23 juin 2021 sa « Stratégie pour le développement durable 2030 » après avoir tiré les enseignements de la procédure de consultation que nous avions commentée en mars dernier. Le tout a été complété par le plan d’action 2021-2023 auquel nous consacrerons un article séparé. Ces documents n’ont pas fait la une des médias et ont presque échappé à mon attention ; ils méritent d’autant plus un examen attentif.
Globalement les résultats de la consultation sont jugés comme positifs : 175 prises de position approuvent plus ou moins clairement le projet contre 34 réponses critiques. Parmi les réponses négatives on trouve les cantons d’Appenzell Rhodes Intérieures et de Vaud pour des raisons liées au fédéralisme, tandis que Fribourg considère que le Conseil fédéral est trop timoré. L’UDC, l’Union Suisse des Arts et Métiers et l’Association des Propriétaires fonciers considèrent au contraire que le gouvernement va trop loin. Le PLR, l’UDC et une bonne partie des organisations économiques considèrent que la place laissée à l’économie est trop limitée. A l’opposé les associations écologiques regrettent que le Conseil fédéral ne fasse pas de propositions plus offensives.
La comparaison du texte publié avec celui mis en consultation montre qu’il n’y a eu aucune modification importante. Les objectifs chiffrés sont très peu nombreux. Les seuls changements identifiés à ce niveau sont une augmentation de la production électrique renouvelable non hydraulique de 11’400 GWH à 17’000 GWH, ainsi qu’une élimination plus rapide des nuisances des installations hydrauliques, qui devraient disparaître jusqu’en 2030 au lieu de 2040. On note aussi certaines actualisations de détail comme la suppression de la référence à un accord avec l’UE en matière d’électricité ou la mention nouvelle de la violence domestique. Comme autres ajouts plus significatifs, on peut souligner un nouveau point consacré à la contribution de la société civile, un point sur la procédure budgétaire – qui ne prévoit pas de ressources spécifiques pour la stratégie – ainsi qu’une précision sur la procédure, qui annonce un nouveau plan d’action 2024-2027 qui sera présenté cette fois avec le prochain programme de législature.
Même si la nécessité de définir des objectifs mesurables (SMART) a semble-t-il été soulignée très souvent dans les réponses à la consultation, le Conseil fédéral ne se risque que très rarement à formuler des cibles chiffrées. Le plus souvent on trouve des objectifs tels que « La proportion de la population qui vit sous le seuil de pauvreté national diminue. » ou « La diversité biologique et les services écosystémiques sont restaurés et conservés ». Dans ce dernier exemple, cette retenue est d’autant plus compréhensible qu’il n’existe pas d’indicateurs chiffrés simples mesurant la biodiversité.
Comme en mars dernier, il me paraît nécessaire de revenir sur trois éléments de cette stratégie qui méritent un éclairage particulier :
Consommation intérieure
Deux éléments me paraissent particulièrement problématiques. D’abord le Conseil fédéral s’essaie au rôle de diététicien en définissant un objectif particulièrement ésotérique : « La proportion de la population qui se nourrit sainement, de manière équilibrée et durable, conformément aux recommandations de la pyramide alimentaire suisse augmente pour atteindre un tiers. » Une pyramide helvétique qui fait des recommandations alimentaires, c’est encore plus exotique que les travaux des égyptologues.
Ensuite, ce qui me fait nettement moins sourire, c’est un autre objectif qui a des retombées selon moi plus problématiques : « L’empreinte gaz à effet de serre de la demande finale en denrées alimentaires – calculée par personne sur la base de la comptabilité environnementale – recule d’un quart par rapport à 2020. » La note qui complète cet objectif fait référence à des travaux internationaux qui sont loin de faire l’unanimité. La quantification de l’empreinte carbone de notre régime alimentaire repose sur de nombreuses estimations, notamment en ce qui concerne nos importations, comme je l’ai montré dans un article récent.
Responsabilité des entreprises
Jusqu’ici la stratégie de la Suisse a été de s’engager dans les institutions internationales, notamment l’OCDE, pour que le respect de la responsabilité des entreprises au niveau social et environnemental devienne un standard international, ce qui garantit à nos entreprises multinationales des conditions concurrentielles optimales. La question qui se pose est de savoir dans quelle mesure nous voulons prendre les devants au plan intérieur. A lire la stratégie du Conseil fédéral on a l’impression de retrouver l’argumentaire des défenseurs de l’initiative populaire pour des multinationales responsables qui, malgré l’opposition du Conseil fédéral, a été acceptée par le Peuple suisse en novembre 2020, mais qui a échoué au niveau de la majorité des cantons. Il sera donc à mon avis très intéressant d’analyser à l’avenir les mesures que le Conseil fédéral mettra en œuvre pour atteindre cet objectif.
Services financiers
Cet élément fait l’objet d’un chapitre spécial qui indique que notre pays est particulièrement amitieux dans ce domaine : « le but est de faire de la Suisse une référence mondiale en matière de services financiers durables ». L’idée que la Suisse devienne le premier de la classe et ne doivent pas lutter contre les erreurs du passé, comme cela s’est produit dans le domaine du secret fiscal, est en soi intéressante. Toutefois, la question de l’évaluation de la durabilité des investissements pose de nombreux problèmes conceptuels et techniques. Si des méthodes sont proposées en ce qui concerne l’empreinte carbone, les problèmes deviennent encore plus massifs lorsqu’on s’aventure dans d’autres dimensions que les gaz à effet de serre. Je continuerai d’approfondir cans ce Blog ces questions très intéressantes. Dans tous les cas j’analyserai de près la mesure annoncée dans ce chapitre, à savoir que « La FINMA devrait adopter en été 2021 les exigences plus concrètes qu’elle compte imposer aux plus gros assureurs et aux grandes banques pour la divulgation de leurs risques financiers liés au climat. » (Stratégie, pp. 37-38).
Conclusions
Je dois dire que je reste sur ma faim après la lecture de ce document de 57 pages. Ce qui manque c’est un véritable chiffrage de ces mesures, notamment en termes financiers. « Normalement » cet exercice stratégique aurait dû être couplé à la préparation d’un programme quadri-annuel qui aurait été discuté en même temps que le programme de législature, et donc chiffré en même temps que le plan financier quadriennal. L’administration fédérale – et plus particulièrement les départements et offices responsables (ARE et DFAE) – n’ont pas pu relever ce défi et ont accouché d’un plan d’action pour deux ans et de nature éminemment anecdotique comme nous le verrons dans un autre article.
0 commentaires