Résumé : La COP 16 sur la diversité biologique n’a pas réussi à mettre sur pied un nouveau fonds pour étendre la préservation de la biodiversité. L’engagement de l’économie et des entreprises reste compliqué du fait de l’absence de méthodes claires pour mesurer l’impact sur la biodiversité. Les approches sophistiquées de certains scientifiques ne se sont pas imposées et les investisseurs continuent d’être perdus dans la jungle des institutions et des multiples méthodes qu’elles proposent.
La 16ème Conférence des parties (COP 16) de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique vient de se terminer à Cali en Colombie. Selon moi, cette réunion se solde par un large échec : à part la fixation de la prochaine COP 17 en 2026 en Arménie, une participation future plus large des peuples indigènes et une sorte d’impôt sur les ressources génétiques, cette réunion n’a pas atteint ses objectifs . La proposition des pays en développement de mettre sur pied un nouveau fonds pour financer la préservation de la biodiversité n’a pas été entérinée par les pays riches. Cette proposition visait à se donner les moyens d’atteindre l’objectif très ambitieux décidé à la COP 15 d’étendre à 30% des territoires l’étendue des zones de protection de la biodiversité.
Mais la préservation de la biodiversité ne repose pas uniquement sur l’action des États, elle nécessite aussi l’engagement des individus et de l’économie. À ce sujet, il faut remarquer que cette implication de l’économie a été à nouveau débattue à cette COP sans qu’on aboutisse à des résultats très convaincants, de nombreux groupes ayant mis en consultation des propositions allant dans de multiples directions. Comme je l’ai déjà relevé, le problème avec la biodiversité est que ce phénomène ne peut pas être ramené à un indicateur simple comme la teneur en CO2 pour le réchauffement climatique. Non seulement il y a de nombreux indicateurs, mais il n’y a pas de méthodes de mesure faisant l’unanimité. Compte tenu des besoins des grandes entreprises et des acteurs financiers de disposer de mesures chiffrées de performance et de l’intérêt suscité par ces nouveaux marchés pour de nombreux acteurs (sociétés de conseil, instituts universitaires, etc.) c’est à une foison de méthodes – à une véritable jungle – que sont confrontés les entreprises et les investisseurs. Certaines visent à aider les entreprises à réduire leur empreinte sur la biodiversité, d’autres se focalisent sur une approche globale pour évaluer les implications d’un portefeuille d’investissements sur la nature.
Cette multiplication des indicateurs et des méthodes de mesure de la biodiversité est illustrée par une étude (Guide on Biodiversity Measurement Approaches) publiée au début 2024 par un ensemble d’organisations spécialisées sous l’impulsion de la Commission Européenne.
Ce ne sont pas moins de 9 approches qui sont détaillées dans ce document. Après les avoir étudiées dans le détail, je pense qu’on peut former trois groupes en fonction des instituts bancaires, des centres de recherche, des institutions publiques et des sociétés de conseil impliqués :
- L’analyse des secteurs d’activité proposée par la méthode « ENCORE » développée notamment à partir de 2019 par des organismes dépendant de l’ONU avec le soutien de l’administration Suisse (Secrétariat d’État à l’économie (SECO) puis Office fédéral de l’environnement (OFEV))
- L’analyse des régions/zones concernées, découlant notamment de la localisation des espèces menacées (listes rouges de l’UICN) et des zones particulièrement protégées, ce qui permet aux entreprises (et aux investisseurs) de mieux comprendre où elles mettent les pieds. Ces informations sont fournies par ces organismes de protection de l’environnement ou peuvent être achetées auprès d’une société de conseil aux investisseurs comme msci.com
- Les autres applications se concentrent sur l’analyse de l’empreinte de projets sur la biodiversité, notamment au moyen de modèles économétriques. Je distinguerai deux groupes principaux :
a) Les Néerlandais avec le groupe bancaire ASN, le ministère hollandais de l’environnement et plusieurs centres universitaires de recherche qui ont développé un modèle input/output (EXIOBASE) permettant de calculer l’impact théorique d’un projet d’investissement sur la biodiversité. Les effets sur la biodiversité sont aussi évalués par le modèle ‘Globio’ développé par les scientifiques néerlandais depuis plus d’une vingtaine d’année.
b) Les Français organisés autour de la Caisse des Dépôts et de sa filiale CDC Biodiversité, avec la participation également de Carbon4 Finance, société de conseil créée par Jean-Marc Jancovici.
Finalement, ces modèles cherchent à mesurer la biodiversité d’une zone donnée en calculant sur la base de fonctions mathématiques l’abondance des espèces (Mean Species Abundance, MSA) ou leur risque de disparition (Potentially Disappeared Fraction, PDF). La matrice des échanges provenant du modèle Input-Output permet ensuite d’évaluer les « dégâts » potentiels des échanges sur la biodiversité. Si une telle approche offre aux financiers les chiffres qu’ils adorent introduire dans leurs modèles, elle est à mon avis plus que problématique : les données des modèles Input-Output sont très grossières au niveau des branches et des régions, en plus d’être souvent disponibles avec beaucoup de retard. De plus, évaluer la biodiversité sur la base d’une fonction mathématique nous éloigne considérablement de la réalité. De tels calculs n’apportent que peu d’informations utiles en comparaison d’une analyse fine des zones géographiques et des branches/secteurs d’activité concernés par un projet/une entreprise.
Mais comme nombreux sont les chercheurs et conseillers d’entreprise désireux de mesurer la biodiversité pour pouvoir notamment vendre leurs services aux investisseurs, ces approches ésotériques sont appelées à se multiplier. J’ai d’ailleurs découvert récemment un site internet consacré à détailler les méthodes de mesure et de calcul – la métrique – de la biodiversité https://www.biodiversity-metrics.org/ .
Si les approches dans le domaine de la biodiversité foisonnent, le souci de développer des standards au niveau international en relation avec l’économie est bien présent. Comme dans le domaine du climat avec la création en 2015, sous l’impulsion du G20 et du Financial Stability Board, d’une « Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD) », on a assisté au lancement en 2021 d’un « Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature (Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD)) (www.TNFD.global) » qui fonctionne sur un modèle comparable sans avoir un lien aussi direct avec le G20. A noter que le Programme de l’ONU pour l’environnement (UN Environment Programme (UNEP)) est étroitement associé à ce projet.
La TNFD a profité de la COP16 pour mettre en consultation des documents relatifs aux procédures à mettre en place. Ces propositions restent toutefois très générales et n’abordent pas encore les problématiques que j’ai décrites précédemment. La proximité de l’organisation avec des grandes entreprises multinationales et la participation de l’UNEP ont cependant donné lieu à de vives critiques d’ONG environnementales qui dénoncent selon elles l’écoblanchiment recherché par des entreprises sans scrupules.
En conclusion, je continue de penser que la biodiversité est un élément crucial pour notre avenir, même si l’approche de ce phénomène continue à mon avis d’être peu compatible avec l’économétrie. À ce niveau, les progrès sont lents, mais observer les efforts des naturalistes et des économistes reste une tâche très intéressante…
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