Le 21 mars 2025 le Conseil fédéral a publié son message au Parlement proposant de rejeter l’initiative de l’UDC intitulée « Pas de Suisse à 10 millions ! (initiative pour la durabilité).
L’Union démocratique du centre (UDC) a une interprétation particulière du terme « durabilité ». Ce parti, qui s’oppose habituellement de manière frontale aux propositions des écologistes, insiste sur le lien entre durabilité et immigration. Pour l’UDC, c’est la croissance démographique découlant de l’ouverture de nos frontières qui met en danger l’avenir et l’équilibre du pays. https://initiativedurabilite.ch/
L’initiative prévoit de limiter la population résidante de la Suisse à 10 millions d’habitants à partir de 2050. Dès que la limite de 9,5 millions sera atteinte, le gouvernement devra prendre des mesures de correction qui devront aller jusqu’à la dénonciation de l’accord de libre circulation avec l’Union européenne en vigueur depuis 2002. Comme l’indique le Conseil fédéral, cette dénonciation amènera automatiquement en raison de la clause guillotine à la fin de l’ensemble de nos accords avec l’UE et à ce qu’on appelle voie bilatérale. Il devrait s’en suivre un véritable choc pour notre économie. Selon les prévisions démographiques officielles de l’Office de la statistique, cette limite sera franchie rapidement, comme le relève le gouvernent (message, p. 31) :
Fin décembre 2023, la population résidante permanente de la Suisse comptait 8,96 millions de personnes. Selon le scénario de référence (estimations moyennes) de l’OFS élaboré en 2025, la population suisse va probablement atteindre 9,5 millions de personnes en 2030 et franchir la barre des 10 millions de personnes en 2041.
Le Conseil fédéral reconnait la forte croissance démographique découlant de l’immigration sans toutefois proposer de statistiques internationales. Malgré cette forte croissance, l’augmentation annuelle moyenne du PIB entre 2002 et 2022, qui a atteint 1,75%, atteint encore 0,82% par tête lorsqu’on tient compte de l’augmentation de la population. Le gouvernement relève que cette croissance reste comparable à celle obtenue dans des pays à prospérité comparable, comme la Norvège, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas ou l’Allemagne. C’est à peu près la seule comparaison internationale qu’on pourra trouver dans le message. Le gouvernement relève qu’il est illusoire de vouloir renégocier nos accords avec l’UE, qui représente deux tiers du solde migratoire des étrangers. Une telle renégociation serait d’autant plus incertaine que les discussions avec l’UE viennent d’aboutir après de très nombreuses années et que le texte définitif des nouveaux accords bilatéraux n’est pas encore publié…
Cette discussion va sûrement occuper l’espace politique helvétique ces prochaines années. A mon avis, ce thème est crucial pour l’avenir du pays bien qu’on ait l’impression d’un dialogue de sourds relativement frustrant. Il n’est en effet pas concevable de soutenir les propositions démagogiques de l’UDC mais on ne peut toutefois pas nier que la forte croissance démographique enregistrée dans notre pays pose de nombreux problèmes.
Récemment, la Télévision suisse romande (rts) a consacré un reportage de son émission d’actualité « Temps présent » à cette problématique. Je vous conseille vivement de vous y intéresser. Vous trouvez le lien ci-dessous :
Je résumerai ici les éléments à mon avis saillants de ce reportage de près de 50 minutes.
Au début, le bilan impressionnant est mis sur la table : depuis l’an 2000, la population a cru en Suisse de 25%. En 2000 la population atteignait 7,2 millions et était restée en-dessous de 6 millions jusqu’en 1966. Un tel taux bat tous les records ; il est deux fois plus élevé que celui enregistré en France et dix fois plus qu’en Allemagne. 89% de cette croissance s’explique par l’immigration.
Au cours du reportage, les journalistes mettent en avant deux contradictions principales :
- Du côté de l’UDC ont veut stopper l’immigration mais en même temps on souhaite conserver un climat économique extrêmement favorable aux entreprises, conditions-cadre qui expliquent en grande partie la croissance de l’immigration.
- De leur côté, les Verts et la gauche combattent certaines conséquences de la forte immigration (construction de nouveaux quartier et infrastructures, par exemple) mais n’osent pas remettre en question la politique migratoire helvétique.
Partant de ce dernier constat, les journalistes s’intéressent à l’analyse de Jacqueline Badran, députée PS zurichoise atypique (cheffe d’entreprise dans l’informatique), la politicienne la mieux élue (en nombre de voix) aux dernières élections au Conseil national. En résumé, Jacqueline Badran ose prendre ses distances par rapport aux positions habituelles de la gauche. Elle constate que le quartier de Zurich où elle politise depuis des décennies s’est complètement transformé. Les milieux populaires ont progressivement laissé place à des expatriés aux revenus élevés et qui vivent dans leur ‘bulle internationale’. Il en est résulté une augmentation incroyable des loyers et un phénomène de ‘gentrification’. Cette évolution s’explique principalement par l’attractivité de la Suisse et plus particulièrement de la métropole zurichoise pour les entreprises multinationales qui viennent s’y développer, attirées par la faible fiscalité et les bonnes infrastructures. Jacqueline Badran rappelle que les investissements étrangers en Suisse ont été multipliés par 1000 ces dernières années. Les entreprises multinationales qui se développement en Suisse y amènent de nombreux cadres bien payés qui ont besoins de logements, dont la construction nécessite à son tour la venue de nouveau travailleurs du bâtiment, dont les enfants iront bientôt à l’école. Pour la conseillère nationale, la gauche doit à tout prix trouver des réponses à ce phénomène qui se heurte aux limites physiques du pays.
Le reportage fait aussi un détour par le Danemark, pays dans lequel le parti social-démocrate au pouvoir pratique une politique migratoire très restrictive. Assez vite on remarque que l’aspect exemplaire pour la Suisse reste limité. En fait, cette politique restrictive s’adresse principalement à des flux migratoires issus de l’asile ou constitués de travailleurs provenant de cultures assez éloignées de la culture européenne, notamment musulmanes. Ces caractéristiques ne se retrouvent pas en Suisse où les réfugiés représentent une faible part (6%) des migrants, qui sont en majorité des européens plutôt bien qualifiés.
En conclusion de l’émission. Le ‘père’ de l’initiative de l’UDC, le banquier privé et conseiller national UDC Thomas Matter, se refuse à remettre en cause la politique pro-business de son parti. Pour lui c’est l’attractivité des salaires helvétiques et la beauté de nos paysages qui jouent le rôle le plus important. A aucun moment il évoque la possibilité que l’arrêt total de l’immigration puisse créer des difficultés aux entreprises dont il souhaite le succès.
Il reste à voir si la gauche pourrait se faire à l’idée qu’une plus grande justice fiscale – et donc des impôts plus élevés pour que les entreprises contribuent davantage aux infrastructures – est en fait la réponse à ce phénomène ainsi que le meilleur remède à la schizophrénie de la droite nationaliste…….