L’ouvrage publié en français chez Favre est semble-t-il en rupture de stock temporaire. Heureusement, l’éditeur a eu la bonne idée de proposer une version numérique au format epub. Sinon, vous pouvez vous rabattre sur la version allemande éditée par Zytglogge
Roger Nordmann, le conseiller national vaudois président du groupe socialiste des Chambres fédérales depuis 2015 vient de publier un ouvrage marquant intitulé « Urgence énergie et climat » avec le sous-titre « Investir pour une transition rapide et juste ». Ce livre de près de 300 pages est très fouillé et didactique. C’est plus le produit d’un très grand expert des questions du climat qu’un pamphlet politique à la veille des élections fédérales. Sa lecture est plus que conseillée aux personnes qui se sentent concernées par le plus grand défi auquel notre société doit faire face.
La thèse principale de Nordmann est que les mécanismes du marché ne suffisent pas et que, surtout, une augmentation substantielle des prix de l’énergie se heurte à un refus populaire. L’alternative est l’action de l’État à travers l’initiative pour un fonds climat qui permettra de faire les investissements nécessaires pour garantir la production de la quantité d’électricité nécessaire à remplacer le mazout et les centrales nucléaires. Ce livre est donc une sorte de plan de mise en œuvre de l’initiative populaire « pour un Fonds climat » que le PS a lancée avec les Verts. Pour Nordmann, la transition énergétique nécessite des investissements de 2% à 2,5% du PIB. Le Fonds sera doté de 1% et financera donc près de la moitié de l’effort.
Chacun des 27 chapitres de cet ouvrage se termine par un résumé et l’ouvrage comprend de nombreux graphiques didactiques. Les trois premiers chapitres exposent les enjeux au niveau mondial avant de passer à l’analyse du cas de la Suisse. Pour notre pays, la protection du climat est surtout une question d’énergie et nous ne sommes clairement pas sur la bonne tendance. D’un côté, les lobbys routiers font une résistance efficace et, de l’autre, nous n’avons pas investi assez pour la production électrique qui est le seul moyen de remplacer les énergies fossiles. L’enjeu est non seulement de produire beaucoup plus d’énergie électrique « verte » mais aussi de pouvoir la stocker sous une forme ou sous une autre pour transférer les ressources abondantes de l’été vers l’hiver, période au cours de laquelle les besoins sont beaucoup plus importants.
Ce qui préoccupe particulièrement dans le cas de la Suisse, c’est que la production électrique hydraulique est restée stable et que les autres sources électriques renouvelables ont peu progressé. En Suisse ces autres énergies renouvelables ne représentent que 8% de l’électricité contre 43% en Allemagne ou 19% en Autriche. Si l’industrie a fait de son côté des efforts louables, l’aviation et l’agriculture représentent deux « angles morts » de la politique climatique. La dernière « stratégie » de l’Office de l’agriculture date de 2011 et très peu de progrès ont été réalisés, tandis que le secteur aérien – qui souvent « échappe » aux statistiques nationales – a lui doublé ses émissions de gaz à effet de serre.
Nordmann revient sur l’échec de la révision de la loi sur le CO2 en 2021 qui s’explique par la résistance des partisans des partis de droite et par le rejet pour des motifs opposés des « défenseurs du climat » pour lesquels le projet n’allait pas assez loin : il a manqué 1,7% qu’on aurait pu trouver dans ce camp « vert » si le réalisme l’avait emporté.
Pour l’auteur, le mécanisme des prix – l’application du principe pollueur-payeur – n’amène pas les effets escomptés par les économistes. L’augmentation du prix de l’énergie est anti-sociale car les couches les plus pauvres de la population paient plus en proportion pour les dépenses énergétiques. De plus, de nombreux facteurs bloquent le mécanismes des prix, à l’exemple des coûts de chauffage qui sont supportés par les locataires qui n’ont pas voix au chapitre. Le mécanisme des prix n’a pas vraiment fonctionné ces dernières décennies comme on l’avait imaginé. Jusqu’à la crise ukrainienne, le prix de l’électricité était resté très bas (3 à 6 centimes le KWh), au risque de bloquer les investissements nécessaires à un approvisionnement sûr à long terme.
La seconde moitié de l’ouvrage est plutôt technique et vise à démontrer que la mise en œuvre de l’initiative du Fonds climat permettra de sortir de l’impasse. Le principe central de cette initiative peut être résumé en une phrase : « Au lieu de tenter de renchérir davantage l’énergie fossile, on subventionne plus généreusement les équipements de récolte des énergies renouvelables et les transformations destinées à gagner en efficacité. » (p. 113).
Nordmann propose une stratégie d’ensemble baptisée « Solaire, syngaz et industrie ou SSI». Pour lui il s’agit de démontrer qu’il est possible d’augmenter la production d’électricité pour répondre aux besoins annuels additionnels découlant de la mise hors services des centrales nucléaires (20 TWh), de l’utilisation de pompes à chaleur (6 TWh) et de la décarbonation de la mobilité terrestre (17 TWH). Le problème central est le besoin de stocker sous une forme ou sous une autre l’énergie électrique abondante en été alors qu’on en a besoin surtout en hiver. Un des moyens techniques est de transformer l’électricité solaire en gaz synthétiques (syngaz) permettant de produire plus tard de l’électricité. Toutefois, ce mécanisme se heurte à des limites physiques car le rendement du processus est d’environ 50%. L’auteur résume cette stratégie de la manière suivante : « La SSI implique de développer massivement la production photovoltaïque, en installant 72GW de puissance, soit 16 fois plus qu’aujourd’hui, de développer modestement l’éolien et d’augmenter de 20% la capacité de stockage des barrages, selon l’accord de la Table ronde ». (p. 167).
Plus loin, Nordmann développe certains aspects sectoriels problématiques :
- Même si on souhaitait recourir à l’énergie nucléaire, la construction de nouvelles centrales demanderait des investissements considérables et leur production électrique ne serait disponible que beaucoup trop tard ;
- La décarbonation de l’aviation semble être une mission plus ou moins impossible ;
- La moitié des émissions de l’agriculture en Suisse provient du système digestif des vaches et seule la réduction de la consommation de viande amènerait des progrès dans ce domaine ;
- Le potentiel des émissions négatives de CO2 semble limité à 5 à 10% des émissions positives.
Pour terminer, l’auteur s’intéresse à la manière de financer les 8 milliards annuels du Fonds pour le climat. La variante de l’impôt fédéral direct serait la plus sociale mais Roger Nordmann pense que l’augmentation de la dette serait une alternative encore plus attrayante (« Oser s’endetter pour investir »). Au vu du faible endettement de notre pays et de la proximité des élections fédérales, cela me semble être un choix tout à fait défendable.
Ce dernier élément est un des seuls à avoir une telle dimension politique. On ne trouve nulle part une référence au Parti socialiste suisse ou à ses positions par rapport à celle des verts, qui sont à la fois les partenaires et les concurrents. Roger Nordmann détaille dans son ouvrage sa foi de défenseur de l’énergie solaire. Il ne fait quasi pas référence aux questions qui animent les écologistes à propos des éoliennes et, surtout, semble vouloir passer sous silence que les élections fédérales sont très proches.
J’ai bon espoir que Roger Nordmann soit réélu en 2023 au Conseil national et qu’il pourra continuer d’apporter son vaste savoir au Parlement.
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