Le panda et la forêt

10.05.2021 |

Je ne fais pas référence ici à la consommation impressionnante (15 à 35 kilos par individu et par jour) de bambous par les pandas géants mais j’aimerais revenir sur les propositions de l’ONG WWF dont cette espèce d’ours est la mascotte et le logo. Le ‘World Wide Fund for Nature’ (anciennement « World Wildlife Fund ») demande en effet à l’Union européenne qu’elle diminue sa consommation pour réduire la déforestation dans les zones tropicales comme je l’ai exposé dans un article récent.

Il me semble nécessaire de revenir sur les études qui sont citées par le WWF et qui fournissent les bases scientifiques sur lesquelles repose la démonstration de l’ONG. Il s’agit de deux sources principales, d’une part d’une étude du WWF lui-même et, d’autre part d’articles scientifiques publiés par des chercheurs internationaux, notamment suédois.

L’étude principale du WWF s’intitule « Les fronts de déforestation, moteurs et réponses dans un monde en mutation » pour sa synthèse en français (voir encadré). La version anglaise complète du rapport de 125 pages montre comment l’organisation a sélectionné 24 « fronts de déforestation » situés en Amérique latine (9), en Afrique subsaharienne8), ainsi qu’en Asie du Sud-Est et Océanie (7). Ces zones regroupent au niveau mondial un cinquième de la superficie forestière totale des régions tropicales et subtropicales. Les forêts primaires représentent encore les deux tiers de la superficie forestière de ces fronts de déforestation. Ils ont perdu plus de 10 % de leur surface forestière entre 2004 et 2017.

Les mécanismes décrits dans le rapport (Synthèse, p. 7) sont relativement simples : « La croissance économique et démographique mondiale, qui entraîne une augmentation de la consommation alimentaire, a conduit à une expansion de l’agriculture commerciale. La demande croissante du marché alimente également la spéculation foncière et l’empiètement sur les forêts publiques et les terres appartenant aux peuples autochtones et aux communautés locales. Ces tendances sont souvent accompagnées d’une expansion des économies et activités illégales ou informelles, qui impliquent parfois les élites locales et du monde des affaires. »

Il est à mon avis plus intéressant de s’intéresser aux méthodes adoptées par ce rapport. A la base on retrouve un énorme travail de cartographie qui repose en grande partie sur l’observation par satellite. La surface du globe est analysée par unités spatiales de 10 km2 et les variations du couvert forestier mesurées au niveau des pixels sont traduites dans les statistiques. On retrouve également les résultats d’analyses locales qui sont synthétisés notamment dans les travaux de la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation.

Même si le tout repose sur de grandes capacités de calcul, nous sommes en présence d’observations et non de modèles explicatifs. Bien sûr, l’ampleur du phénomène décrit peut varier passablement en fonction des critères techniques retenus, par exemple si on inclut ou non les phénomènes de reforestation. Ce que je retiendrai ici, c’est que les situations sont extrêmement diverses et que les évolutions sont souvent contradictoires. C’est ce qui explique selon moi que le WWF a consacré une grande partie de son rapport à décrire dans le détail l’évolution observée dans ces 24 zones. On retrouve bien sûr de grandes tendances comme, par exemple l’influence des cultures de soja en Amérique du Sud, celle du palmier à huile en Asie et l’agriculture de subsistance en Afrique subsaharienne. Il est difficile d’aller plus loin dans la généralisation. L’approche choisie permet d’analyser dans le détail les stratégies mises en place pour lutter contre la déforestation. Certains succès peuvent être mis en lumière mais globalement la déforestation continue de progresser ce qui amène le WWF à conclure qu’il faut en faire encore nettement plus.

La seconde source d’arguments utilisés par le WWF provient de recherches universitaires qui tentent de lier déforestation et commerce international. L’équipe – en majorité suédoise -réunie autour de la chercheuse Florence Pendrill a d’abord cherché (voir encadré) à expliquer les variations de couverture forestière par les échanges internationaux. Cette approche tient compte de grandes disparités observées au niveau mondial : alors que les zones tropicales enregistrent une déforestation importante, d’autres pays voient leur surface boisée progresser, parfois de manière significative. Le modèle utilisé permet de conclure que 62% de la déforestation provient de l’expansion des cultures. 26% de cette déforestation pouvait être attribués à la demande internationale, les flux commerciaux se dirigeant très largement (à 87%) vers des pays qui enregistrent eux une progression de leur couverture forestière. Pour ces chercheurs, environ un tiers de l’augmentation des surfaces forestières dans les pays récipiendaires serait ainsi expliqué par leurs importations en provenance des zones où la déforestation sévit. Donc, en caricaturant, une partie significative de l’augmentation des surfaces forestières en Suisse serait expliquée par l’augmentation des importations helvétiques de café à l’origine de la déforestation dans les pays producteurs.

Dans un autre article (cf. encadré) Pendrill et al. vont plus loin et réalisent leurs calculs en équivalent CO2 dans la mesure où la déforestation est une source importante de l’augmentation des gaz à effet de serre. Le modèle mis au point lie la déforestation aux différents produits agricoles cultivés sur les zones concernées avant de convertir l’ensemble en émissions de CO2. Le lien est ensuite fait avec les échanges internationaux, d’abord sur la base des quantités de produits échangés puis sur la base des échanges monétaires calculés à partir d’une matrice input-output. Les conclusions sont surtout basées sur les résultats en termes monétaires, qui donnent des valeurs clairement plus élevées. Selon ces calculs, même si plus de la moitié des émissions causées par la déforestation sont le fait de la demande intérieure, l’empreinte en matière de CO2 des importations agricoles de certains pays développés représente une part significative de la production de CO2 de leur propre agriculture. Globalement le commerce international serait à l’origine de 29 à 39% du CO2 lié à la déforestation. Pour l’Union européenne, ce modèle indique que la déforestation ainsi « importée » représenterait environ un sixième de l’empreinte carbone découlant de la consommation alimentaire européenne.

Ma conclusion personnelle est que ces approches ont le mérite de remettre en question de manière générale notre modèle de développement. Elles montrent les effets parfois délétères de la production et du commerce de certains produits comme le soja ou l’huile de palme. Elles peinent toutefois à aboutir à des conclusions plus opératoires. Comme cela est montré dans d’autres domaines, la consommation intérieure reste un déterminant majeur. La part à attribuer au commerce international est plus délicate à évaluer. Le modèle utilisé tend notamment à amplifier le phénomène dans les petites économies ouvertes comme la Suisse. A mon avis, la question pour nous n’est pas de cesser d’importer du cacao ou du café – je ne nous vois pas les produire en Suisse – mais de trouver les moyens de se concentrer sur des producteurs éco-responsables, même si cela coûte davantage.

 

 

Références :
Pacheco, P., Mo, K., Dudley, N., Shapiro, A., Aguilar-Amuchastegui, N., Ling, P.Y., Anderson, C. and Marx, A. 2021. Les fronts de déforestation : moteurs et réponses dans un monde en mutation. WWF, Gland, Suisse
Synthèse (en français)
Etude complète (en anglais)
Pendrill, F. et al. 2019. Deforestation displaced: trade in forest-risk commodities and the prospects for a global forest transition. Environmental Research Letters 5(14):055003. doi: 10.1088/1748-9326/ab0d41. Lien Internet
Pendrill, F. et al. 2019b. Agricultural and forestry trade drives large share of tropical deforestation emissions. Global Environmental Change 56: 1–10. doi: 10.1016/j. gloenvcha.2019.03.002. Lien Internet

 

 

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