GREENWASHING

11.05.2022 |

GREENWASHING est un ouvrage très intéressant qui vient de paraître dans la collection « Anthropocène » du Seuil. Ce livre de 240 pages est le produit d’un collectif d’auteurs de 35 scientifiques qui nous proposent 24 chapitres avec le sous-titre « Manuel pour dépolluer le débat public ». Le propos de ces auteurs est de dénoncer et de détailler les grosses ficelles de la « communication verte ». Il est d’emblée signalé que la traduction française « écoblanchiment » est mauvaise. L’anglais ne parle pas de « whitewashing » mais fait référence à d’autres connotations, comme le lavage de cerveau (brainwashing) ou la nourriture pour les cochons (hogwash).

Le greenwashing peut être considéré comme un contre-feu à la critique écologique. Dans l’introduction il est fait référence à trois biais caractéristiques de la pensée moderne : l’économisme, le solutionisme technologique et la pensée en silo. Le dernier élément désigne le rejet d’une pensée systémique, ce qui conduit à proposer des remèdes limités à certains secteurs sans voir que cela ne fait que déplacer le problème (ex. : la production d’hydrogène pour la mobilité est responsable d’émissions très importantes de CO2). Le solutionisme technologique, c’est accorder trop de foi aux solutions technologiques, qui souvent n’existent pas encore ou ne font que déplacer le problème.

L’économisme est certainement le biais le plus commenté. Il « désigne la tendance à n’imaginer la conduite des affaires humaines qu’au travers de mécanismes de marché. La gestion des communs, l’auto organisation, la coopération internationale et bien d’autres propositions sont ainsi laissées dans l’ombre. » (p. 21) Si cette critique peut être partagée par un économiste comme moi, ce qui choque le plus les auteurs, c’est la notion de « compensation écologique », processus au cœur de la finance verte et de la gestion de la biodiversité. « la marchandisation de la nature qui les sous-tend conduit à une négation de la profondeur qualitative du monde et à des mises en équivalence sidérantes entre la disparition d’une espèce animale et le fait d’investir dans des ateliers de réparation de vélos » (p. 21)  Ce qui ne vous étonnera pas, je ne peux pas les suivre sur ce terrain. Bien sûr l’exemple donné est particulièrement frappant mais on ne peut pas, selon moi, renoncer à certains éléments quantifiés et à une certaine équivalence. Pour un économiste, il semble normal d’accepter le principe d’une soutenabilité faible, comme je le décris en introduction du chapitre « Economie »

Ce livre est truffé d’informations qui méritent la réflexion. Je reprendrai ici quelques passages qui m’ont frappé lors de ma première lecture :

  • « La moitié du CO2 émis depuis plus de deux cents ans l’a été après le premier rapport du GIEC (1990)……Face à te telles constatations le greenwashing fonctionne finalement comme un dernier rempart – illusoire et pervers – contre la panique » p. 25
  • « Un exemple… en France est le travail de l’opérateur EDF pour relancer la filière du nucléaire : en le présentant comme une solution au problème climatique, jusqu’à chercher à le faire intégrer au « énergies durables » dans la taxonomie européenne, il parvient à capter d’énormes investissements, nationaux et internationaux, qui sont autant de financements qui n’iront pas vers des transitions plus raisonnables. Le greenwashing sert ici une puissante stratégie de développement industriel. » p. 29
  • « Le développement de labels permettant un verdissement de façade de l’agriculture industrielle ne se fait pas uniquement sous l’égide de l’Etat. Les multinationales de l’agroalimentaire, de la chimie et de la finance, associées à certaines ONG internationales (le WWF en tête), s’y sont attelées via des normes volontaires dite de « de durabilité »(sustainability voluntary standards) à partir des années 1990. » p. 42
  • « Ce ralliement consensuel [au concept de biodiversité] interroge. D’abord parce que l’érosion de la biodiversité, loin de montrer des signes de stabilisation, s’accélère. C’est donc malheureusement la notion de biodiversité qui connait un franc succès et non la sauvegarde effective des écosystèmes et des espèces de la planète. » p. 54
  • « La biodiversité est progressivement devenue un outil de gestion et de justification d’activités de destruction. Cette dérive a été rendue possible entre autres par un modèle de valorisation instrumentale qui s’est imposé avec la notion de ‘services écosystémiques’ ». p. 58
  • « Une plantation d’arbres pour la compensation va non seulement prendre cinq à dix ans avant de commencer à stocker beaucoup de carbone, mais elle peut être détruite à tout moment par des incendies (p. 63)…Cette notion d’ »équivalence écologique » entre des mesures compensatoires et des dégradations des écosystèmes, à la base du principe de compensation, correspond à une vision mécaniste simpliste de la biosphère dans laquelle un rouage pourrait être remplacé par un autre » (p. 65). Ce système maintient une domination des pays du Nord sur les pays les plus pauvres en leur faisant porter le poids de la compensation d’émissions qui ne sont pas les leurs. » p. 67
  • « Outre le fait que de multiples processus dissipatifs et irréversibles limitent en pratique le recyclage des ressources, une économie circulaire en croissance est une contradiction dans les termes, une impossibilité mathématique. …le recyclage ne peut jamais satisfaire l’intégralité d’une demande croissante. A moins de stabiliser ou réduire la demande, le recyclage ne peut que repousser de peu l’épuisement d’une ressource » pp. 81-82
  • « On mange bio, mais on roule en SUV ; on installe des panneaux solaires, m ais on traverse l’Atlantique par les airs quatre fois par an. » p. 106
  • « La compensation carbone a pu être défendue comme un « premier pas » critiquable mais « mieux que rien ». Les choses sont plus complexes. Elle a surtout été le cheval de Troie des industries polluantes pour empêcher la mise en place d’une régulation contraignante ». p. 162
  • « Au fond, il faut admettre que la RSE [Responsabilité Sociétale des Entreprises] n’a jusqu’à aujourd’hui pas réussi à modifier les grandes orientations destructrices de notre économie, du moins pas à une échelle suffisante pour avoir un véritable impact global » p. 192
  • « Quand bien même ces conditions seraient remplies, les voitures électriques poseraient un grave problème écologique, mais aussi éthique. Car elles nécessitent une quantité prodigieuse de métaux : environ six fois plus que les véhicules thermiques selon l’Agence internationale de l’énergie. Une équipe de recherche du National Science Museum a calculé que pour convertir à l’électrique tout son parc de véhicules (l’objectif pour 2050), l’Angleterre devra par exemple consommer à elle seule l’équivalent de deux fois la production mondiale actuelle de cobalt, les trois quarts de la production de lithium, et la moitié de la production de cuivre. » p. 217

Ce florilège doit vous intéresser et démontre que cet ouvrage pose de très nombreuses questions que les protecteurs de la nature comme les économistes doivent se poser. Ce sont ces questions que je souhaite développer dans mon blog et qui vont nettement au-delà de ce que j’appellerais « greenwashing »

Bonne lecture !

Livre Greenwashing Seuil 2022
Livre Greenwashing Seuil 2022

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