L’ouvrage que j’ai découvert récemment sur les étagères de mon libraire préféré s’intitule « L’illusion de la finance verte ». Il a été publié au printemps 2021 par les éditions de l’Atelier. Cet ouvrage a été rédigé par deux auteurs : Julien Lefournier, vétéran des salles de marché et consultant dans le domaine bancaire et Alain Grandjean, économiste et polytechnicien, associé-fondateur avec Jean-Marc Jancovici de Carbone 4, cabinet de conseil en matière de transition énergétique.
Je constate d’emblée que ces deux auteurs ne cherchent pas à défendre l’économie de marché, dans ses formes actuelles en tout cas. Ils se réfèrent constamment au monde économique actuel, celui du « Business As Usual » pour analyser un thème que je trouve très intéressant, celui du rôle du secteur financier dans la transition énergétique et écologique.
Leur constat vient très vite et est très critique face à ce qu’on appelle « Finance verte ». En fait, d’emblée, on remarque que la « finance verte » n’existe pas, car il n’y a aucune différence entre les obligations vertes et les autres : « Donc, à prix égal, l’obligation verte n’apporte rien : l’obligation verte n’offre à l’émetteur aucun avantage comparatif par rapport à l’obligation classique . Elle ne crée pas de « signal – prix », à travers une économie du coût de financement qui modifierait les comportements des émetteurs (entreprises ou États) . Pour un émetteur donné, elle ne modifie ni le risque ni le rendement obligataire. Elle est seulement une obligation classique avec, dans les bons cas, un fléchage non contractuel vers un projet vert. Elle n’offre d’ailleurs pas plus de solutions pour les investisseurs qui souhaiteraient activement contribuer au financement de la transition (« vert – ueux » ou autres) . Il s’agit d’un « verdissement » ex post : les émetteurs financent leurs projets verts à leurs conditions normales de financement, projets qu’ils lanceraient indépendamment de l’existence du marché des obligations vertes ; les investisseurs achètent normalement les obligations (un mixte de crédit et de taux) qu’ils achèteraient par ailleurs. Aucune modification du paradigme financier, aucune redirection de l’épargne. Il s’agit d’un jeu à sommes nulles, concernant au plus environ 3 % du marché des nouvelles émissions. » (p. 118).
En fait, s’il faut privilégier les investissements verts, ce ne sont pas les marchés financiers qui offriront les outils qui permettent d’atteindre cet objectif : « Pour changer réellement l’allocation des liquidités en faveur de la transition dans le paradigme du risque – rendement, il y a une condition – déterminer ce que serait un actif véritablement vert – et seulement trois solutions : dégrader la rentabilité du « brun » (par exemple via une taxe carbone significative , un durcissement des normes d’émission, une interdiction à terme, etc.) , augmenter la rentabilité du « vert » (par exemple via des subventions, une fiscalité favorable) ou réduire le risque du « vert » (par exemple via des garanties d’État) . Rien qui soit endogène aux marchés financiers. » (p. 52)
Par ailleurs, les auteurs mettent le doigt sur d’autres faiblesses de la finance verte et de ses formes proches comme l’investissement socialement responsable (ISR). D’abord l’absence de métrique « claire » qui est un obstacle important : « Ces notations interprètent, quantitativement donc, des éléments essentiellement qualitatifs. On l’a vu à propos des actifs financiers, passer du qualitatif au quantitatif nécessite des modèles d’interprétation – ceux des agences de notation sont complètement opaques. Ces éléments, du reste, sont fournis par les entreprises elles-mêmes, sans être vérifiés bien entendus : c’est encore une information auto – déclarée et non contrôlée. » (p. 136)
Un autre élément est que le nombre de « projets verts » est nettement insuffisant par rapport à la demande des financiers. Il n’y a d’ailleurs aucune conséquence claire si les objectifs « verts » promis par le projet d’investissement ne sont pas atteints, ni d’instrument pour s’assurer contre ce genre de risque.
En fait, comme le concluent nos deux auteurs, l’intervention de l’État est incontournable : « L’État devrait assumer les deux versants de la transition, car proposer une transition, c’est proposer une croissance verte, mais aussi une « décroissance brune ». Ce n’est pas la dualité croissance – décroissance qui est nouvelle en soi. Il y a toujours eu dans l’économie des entreprises ou des secteurs en croissance et d’autres en décroissance (voire en déclin). Ce qui est profondément différent ici, c’est que l’on ne peut pas penser la transition dans une approche de type destruction créatrice schumpetérienne. L’innovation (verte) n’est pas spontanée et la destruction (brune) devrait être forcée. Car l’innovation porte aussi une promesse de rentabilité (pondérée plus lourdement que celle de faire le bien de l’humanité . . . ), elle a partie liée avec les capitaux privés comme on l’a vu plus haut. L’État serait donc obligé de favoriser l’innovation et la R & D verte, via des subventions, mais aussi des investissements verts en direct, notamment dans des infrastructures ou des bâtiments bas – carbone. » (p. 185).
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