Que l’État adapte les infrastructures et édicte des lois pour promouvoir la durabilité ne suffit pas, les entreprises et l’économie privée ont un rôle majeur à jouer pour atteindre les objectifs de durabilité définis par l’ONU. Pour influer sur les choix des entreprises, les gouvernements peuvent définir des critères relatifs à leurs comportements et à leurs investissements. Ces critères peuvent être totalement indicatifs ou aboutir à des actions plus coercitives. Un autre levier est offert par les règles appliquées à l’industrie financière : la définition de critères de durabilité doit permettre de diriger les marchés financiers vers des investissements plus vertueux. Là aussi, on peut choisir une approche ‘light’ en proposant des comportements à encourager ou en introduisant des règles associées à obligations nettement moins ‘soft’.
Dans le monde des entreprises, les 17 Objectifs de développement durable (ODD) se déclinent en trois dimensions ESG, soit les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ou environmental, social and governance en anglais) qui permettent de prendre des décisions d’investissement liées à la performance extra-financière des entreprises.
C’est la voie ‘libérale’ que le Conseil fédéral a choisie en proposant en juin 2022 les ‘Swiss Climate Scores’, qui devraient permettre aux investisseurs institutionnels ou privés de choisir des investissements compatibles avec un développement durable. Ils sont basés sur six dimensions : 1) Émissions de gaz à effet de serre 2) Exposition aux combustibles fossiles 3) Potentiel de réchauffement global 4) Engagements vérifiés en faveur du net zéro 5) Dialogue crédible sur le climat 6) Gestion en faveur du net zéro. L’usage de ces critères par les acteurs du marché financier est totalement volontaire. Les effets de cette ‘autorégulation’, saluée par les organisations de la branche, devraient être évalués en 2024 par le Secrétariat d’État aux questions financières internationales (SIF).
Au début décembre, le Conseil fédéral a publié un communiqué indiquant que ces indicateurs devront être complétés par des indicateurs optionnels à partir de 2025. Ce texte est complété par une note formulée en termes très jargonnant. Parallèlement, le SIF a publié d’autres informations indiquant que ces indicateurs « ont le vent en poupe ». Cet office fédéral se targue que la plus grande banque suisse, l’UBS, est parmi les premières à avoir utilisé ces Swiss Climate Scores (SCS). Malheureusement, le lien qui accompagne cette affirmation mène sur un message de l’UBS de quelques lignes sur LinkEdin, message qui renvoie lui-même au SIF. Une recherche sur le site internet de la banque donne des ‘scores’ aussi nuls. À aucun moment l’outil de recherche fournit un résultat utilisable lorsque qu’on recherche ces SCS….. Pour espérer, il faut se rabattre sur les vœux de l’organisation professionnelle représentative de l’industrie suisse de l’Asset Management (AMAS) : « Selon une enquête de l’AMAS, au moins 160 fonds de différents gestionnaires d’actifs suisses utilisent actuellement les Swiss Climate Scores. D’autres fournisseurs ont annoncé qu’ils utiliseraient le SCS dans les premiers mois de 2024. Le nombre de fonds utilisant le SCS devrait ainsi atteindre un total de 450 fonds d’ici mars 2024. »
Ces espoirs n’arrivent pas à convaincre le WWF. L’organisation environnementale a publié un communiqué très critique qui constate que l’approche ‘libérale’ basée sur l’autorégulation n’amène pas aux résultats prédits : « Le WWF estime que le Conseil fédéral n’est pas parvenu à corriger les faiblesses des Swiss Climate Scores. L’aspect volontaire d’un bon nombre d’éléments reste sans effets sur la place financière suisse. La réponse à la question de savoir si un portefeuille financier est compatible avec les objectifs climatiques définis à Paris ou s’il contribue concrètement à la protection du climat reste par exemple facultative. »
Aujourd’hui, je partage l’analyse critique du WWF. La volonté du Conseil fédéral de positionner la place financière suisse en ce qui concerne les investissements climato-compatibles doit être saluée. Comme le relève le gouvernement, cette place financière représente 24% des actifs sous gestion transfrontalière, 11% de la gestion de fortune à l’échelon européen et 3% de la gestion de fortune à l’échelon mondial.
Si je compare l’approche suisse au modèle suivi par l’Europe, il faut reconnaître que la concentration sur la dimension climatique est un élément positif. Les experts européens doivent reconnaître que les dimensions sociale et gouvernance du triangle ‘ESG’ sont très difficilement mesurables. Toutefois, si l’analyse montre que des prescriptions plus claires des autorités sont inévitables, la question est de savoir comment les mettre en œuvre. Comment lutter efficacement contre les gaz à effet de serre sans créer une véritable ‘usine à gaz’ ? J’essaierai d’analyser le modèle européen dans un prochain article.