LECTURE RECOMMANDÉE : A l’aube de la 6ème extinction

12.04.2021 |

Paléontologue et biologiste marin, Bruno David a été chercheur au CNRS avant de devenir Président du Museum national d’Histoire naturelle. Très bon communiquant, Bruno David tient une chronique quotidienne sur France Culture sur le « Monde vivant ». Il a publié au début 2021 chez Grasset un ouvrage de 250 p. intitulé « A l’aube de la 6ème extinction »

Bruno David. A l’aube de la 6ème extinction

Disons-le d’emblée, cet ouvrage est très intéressant et mérite la lecture, et ce bien plus que les ouvrages plus ou moins sérieux qui l’ont précédé sur cette sixième extinction  ! Il vaut donc la peine que je lui consacre ici une analyse plus détaillée.

Ce livre se distingue clairement des ouvrages de journalistes (voir par exemple mon compte-rendu de l’ouvrage de Marie-Monique Robin) ou de scientifiques auxquels je me suis intéressé jusqu’ici : il ne contient aucune référence bibliographique ! Il nous fournit un très grand nombre de faits et de théories mais il faut faire confiance à l’auteur. Je serais enclin à lui accorder une telle confiance dans la mesure où il reste nuancé et mesuré dans ses conclusions, comme je vais essayer de le montrer.

Ce qui m’a le plus frappé dans l’approche de Bruno David, c’est qu’il reconnait d’emblée que les spécialistes de la biodiversité doivent renoncer à vouloir développer des modèles précis comme ceux élaborés par les spécialistes du climat, notamment dans le cadre du groupe d’experts du GIEC. Pour David (p. 27) « La biodiversité est donc irréductible à des équations car sa nature même fait que l’on ne peut pas généraliser : elle est soumise à la contingence, c’est pourquoi il est quasiment impossible d’établir des trajectoires. ». Pour lui c’est cette différence qui explique que l’écho dans les médias des questions climatiques ont jusqu’ici pris beaucoup plus de place par rapport à la biodiversité, qui reste un thème beaucoup plus difficile à faire passer dans le grand public. Malgré cela David retient (p. 37) qu’il « reste possible d’agréger des études de cas pour tendre vers des synthèses et construire une image globale ». C’est dans cette perspective qu’il fait référence aux analyses de l’IPBES, le groupe d’experts qui devrait jouer le rôle du GIEC en matière de biodiversité.

David met le doigt sur les très nombreuses absurdités de notre modèle mercantiliste et consumériste. Il relaie notamment deux exemples déjà critiqués par les écologistes suisses, à savoir d’une part les exportations vers l’Asie par une start-up valaisanne de bouteilles contenant de l’Air des Alpes et, d’autre part, la décision par les CFF de faire transformer en Chine des pierres achetées en Allemagne pour recouvrir la façade d’un nouvel immeuble zurichois.

En matière de santé, l’auteur fait bien sûr référence à la pandémie de covid pour souligner la nécessité de changer d’approche et de privilégier le concept de « one health » qui lie santé animale et humaine. La préservation de la plus grande diversité possible reste la seule solution. Il ne sert à rien de vouloir éliminer les espèces potentiellement porteuses de virus car cela risquerait à terme de se retourner contre les humains. Il reste aussi illusoire de baser tous nos espoirs sur les progrès de la génomique, qui n’a fait jusqu’ici qu’à déplacer les frontières du savoir.

Dans son analyse des cinq crises d’extinction qui se sont succédées depuis l’origine de la vie sur Terre il y a 4000 milliards d’années, David relève que les crises ont toujours été multifactorielles et n’ont jamais été des hécatombes. La dynamique a plutôt été celle d’une diminution d’abondance qui s’est traduite par la diminution du succès reproducteur et plus tard par l’extinction de certaines lignées. Si on compare les très forts taux d’extinction des épisodes précédents (jusqu’à 80%), les taux de disparition d’espèces enregistrés ces dernières décennies restent très mesurés. Toutefois, les extinctions des épisodes précédents se sont étalées sur des durées longues jusqu’au million d’années. Si on extrapole les tendances actuelles sur de telles durées, les tendances deviennent nettement plus inquiétantes.

L’auteur relève que nous devrions pouvoir assez rapidement pouvoir profiter des améliorations de la biodiversité que nous avons rendues possibles dans notre environnement proche. Par contre, si nous faisons des progrès en matière de CO2, il est probable que cette évolution positive soit plus que compensée par l’évolution au niveau mondial. Il est urgent que les charges sur l’environnement soient « internalisées » comme le promettent depuis longtemps les économistes. Il faudrait passer à un « PIB vert ». La prise en compte de l’ensemble des coûts environnementaux cachés risque de faire exploser certains prix, ce qui serait difficilement acceptable par certains consommateurs (cf. les réactions des gilets jaunes en France). Il faut donc privilégier les changements de comportements des consommateurs en restant conscients qu’il faut abandonner la dichotomie en Homme et Nature. L’Homme n’est qu’un composant de la Nature et il ne faut pas perdre de vie que malgré toutes les évolutions technologiques, Il n’y a pas de planète B.

Pour terminer, je peux relever que Bruno David a donné plusieurs interviews à l’occasion de la sortie de son livre. Je vous propose d’en écouter un sur Youtube diffusé sur la chaîne France culture

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