L’année passée est parue chez Dargaud la bande dessinée du dessinateur Christophe Blain sur la base d’un scénario de Jean-Marc Jancovici.
Cet ouvrage, que je vais offrir à Noël à mon fils (33 ans), est devenu un succès de librairie (plus de 600’000 exemplaires vendus semble-t-il). Il illustre en 193 pages les principales idées de J.-M. Jancovici, polytechnicien de 61 ans qui est devenu incontournable dans la discussion hexagonale de la transition énergétique. Jancovici publie presque quotidiennement ses avis sur le réseau social LinkedIn et de très nombreuses interventions publiques sont disponibles sur Youtube. Pour ceux qui trouvent les dessins ennuyeux, je leur propose de se rabattre sur un petit livre du même auteur intitulé « Le changement climatique expliqué à ma fille », dont la dernière édition révisée date de 2017.
Jean-Marc Jancovici s’occupe depuis très longtemps de transition énergétique. Il a d’ailleurs contribué à définir comment calculer le bilan carbone des entreprises. Il se caractérise par son franc-parler et par son côté parfois provocateur. Jancovici a cofondé Carbone 4, une entreprise de conseil spécialisée dans le domaine de la transition énergétique et il est à l’origine du projet The Shift (theshiftproject.org) qui veut définir une voie de ‘décarbonation’ pour la France. Je vais tenter de résumer ici les quatre principaux arguments développés par Jancovici dans cette bande dessinée et dans ses autres publications.
- Comme d’autres auteurs scientifiques, Jancovici commence par décrire le lien entre le développement économique et la disponibilité d’une énergie bon marché, notamment fossile. Il n’y a pas de commune mesure entre le potentiel d’un litre d’essence et le potentiel mesuré en KWh de la force physique provenant du corps humain. Presque tous les produits que nous consommons n’existeraient pas en l’absence d’une énergie bon marché actionnant les machines de production ou les véhicules de livraison.
- Un élément particulièrement mis en avant par Jancovici est que l’extraction et la production mondiale d’hydrocarbures a enregistré son maximum en 2008. La production de pétrole par la technique de la fracturation hydraulique est très coûteuse, mauvaise pour l’environnement et ne peut compenser ce recul que très momentanément. Nos sociétés doivent donc se faire à l’idée de survivre avec moins d’énergie et réfléchir à la nécessité de décroître.
- Jancovici est particulièrement critique par rapport aux énergies renouvelables (solaire, éolien) que certains dépeignent comme la seule voie de secours. Pour lui, ces énergies ont le principal défaut d’être intermittentes et donc d’exiger un système de stockage qui aujourd’hui n’est pas disponible ou, en tout cas, très coûteux. En plus, ces énergies demandent de gros investissements et consomment beaucoup d’espace et de matière premières chères.
- L’élément le plus remarquable est que Jancovici se place parmi les défenseurs de l’énergie atomique. Malgré Tchernobyl et Fukushima, cette technologie n’a presque pas causé de morts humaines et on peut faire confiance à l’enfouissement des déchets radioactifs, beaucoup moins dangereux que la pollution mortifère issue du charbon et du pétrole. Jancovici considère la production d’électricité par les centrales atomiques comme le « parachute ventral » et un amortisseur de la décroissance qui doit assurer notre atterrissage énergétique. Du fait d’une production intermittente des énergies renouvelables, une source alternative non carbonée est indispensable.
A la fin de la bande dessinée, le narrateur introduit la notion de ‘striatum’. Il s’agit du rôle d’une partie de notre cerveau qui s’est formée à l’âge de l’homme des cavernes et qui est orientée vers la survie de l’espèce humaine. Ces mécanismes décrits par le spécialiste des neurosciences Sébastien Bohlen, dont j’ai résumé l’ouvrage « le Bug Humain » , nous empêcheraient de réagir face au danger plus ou moins lointain de la crise climatique. Le dessinateur essaie bien de reprendre certaines alternatives ‘positives’ décrites par Bohlen mais il a peine à dissiper cette impression plutôt décourageante.
Pour terminer, je signalerai que le magazine français de gauche « Alternatives économiques » vient de publier un article intitulé « Energie, Les discours trompeurs de Jean-Marc Jancovici ». D’abord, l’idée de pic de production des hydrocarbures devrait être relativisée, car les mécanismes de prix devraient aboutir à augmenter l’offre. On peut aussi imaginer que consommation de pétrole et croissance du PIB puissent être presque complètement déconnectées. Le potentiel des énergies renouvelables serait plus important que les analyses de Jancovici le présenteraient. Enfin, les risques du nucléaire – technologie qui repose sur des cycles très longs -seraient clairement sous-estimés par Jancovici.
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